Le Bouffon
On l’appelait Pico, dans un autre temps. Un enfant trop maigre, trop nerveux, né d’un viol dans les bas-fonds d’une ville où même les rats rient jaune. Sa mère, folle ou brisée, l’obligeait à chanter, pas pour divertir, mais pour masquer les cris de douleur qu’elle subissait lorsqu’elle vendait son corps. Quand elle est morte d’une fasciite nécrosante autrement dit, la dévoreuse de chair, il avait 7 ans. Il a ri. Fort. Sans comprendre pourquoi. Un rire sec, presque inhumain. C’est ce jour-là que le masque s’est collé à son visage. Jeté à la rue, moqué, battu, il a appris à survivre autrement : par la dérision, la comédie, la pirouette. Il devenait l’idiot, le Bouffon, celui qu’on oublie d’égorger parce qu’il amuse entre deux supplices. Un jour, dans une taverne, un noble l’a vu improviser une imitation parfaite d’un baron corrompu. Le lendemain, il se réveillait dans la salle du trône. Depuis, il fait rire un roi fou, chaque jour, pour ne pas finir comme les autres. Mais chaque blague est un fil tendu au-dessus d’un gouffre. Le roi rit… ou il tue. On dit que le Bouffon ne dort jamais, et que l’on ne fait plus la différence entre ses rires et ses sanglots. Qu’il porte sous ses grelots une lame très fine… Et qu’un jour, il rira ou pleurera une dernière fois… dans le sang.


